Chers amis,
Après la difficile semaine pour les victimes liée aux propos du Dr Gérard Lopez sur l’amnésie traumatique, j’ai pris sur moi lundi pour me rendre au DU de victimologie de Paris V auquel je m’étais inscrite à l’automne dernier, qu’il dirige et anime.
Je suis arrivée dans un état logiquement tendu. Vous imaginez bien. J’avais présents à l’esprit tous les témoignages des victimes décrivant comment ses prises de position (sur un supposé risque d'”epidemies de faux souvenirs” par exemple) ont réveillé leur mémoire traumatique: cauchemars pour certains, colère, angoisses ou abattements pour d’autres.
J’étais prise moi même dans un étau émotionnel consciente que ces événements avaient également réveillé ma propre mémoire traumatique. Il m’a donc été très difficile de me concentrer (symptôme typique de ces mécanismes). J’ai tenté tant bien que mal de gérer la situation.
Je me suis contentée d’écouter les cours et de n’intervenir que rarement contrairement à mon habitude depuis le début de la formation. Quelques amies inquiètes l’ont remarqué. Et pour ne pas risquer d’entrer dans le conflit, je l’ai évité et me suis assise très loin de lui.
Mardi, deux représentantes de l’Aivi ont fait une présentation de l’association. Étant donné que le point de vue de l’Aivi ne s’est pas fait entendre depuis le début de cette polémique sur l’amnésie traumatique, je suis intervenue.
J’ai demandé aux responsables, en la présence de M. Lopez, ce qu’elles pensaient des difficultés des victimes d’inceste à parler, à se sentir crues, entendues– d’autant qu’elles sont souvent concernées par l’amnésie traumatique– ainsi que leur opinion sur les prises de position d’un psychiatre (sans le nommer) qui a évoqué un “risque d’épidémies
de faux souvenirs”.
Une d’entre elles a levé les yeux au ciel. Elle ne semblait pas au courant et désapprouvait. L’autre a raconté avoir été elle même victime d’amnésie traumatique, les souvenirs lui étant remonté à 42 ans. M. Lopez est intervenu pour dire que le psychiatre en question c’était lui. Il a ensuite redit les mêmes choses qui nous ont choquées.
Il a réitéré mercredi matin.
Aujourd’hui, je suis arrivée en cours avec un mal de ventre et de tête terribles. A la pause de midi, j’étais entrain de ranger mon ordinateur dans un coin de la salle lorsque M. Lopez a brutalement fondu sur moi avec un doigt menaçant brandi vers moi, un regard noir en criant de façon agressive qu’il allait déposer plainte contre moi en diffamation.
Et tout ceci parce qu’on lui avait dit que j’avais écrit sur Facebook qu’il dirigeait une “secte” ce qui est faux. J’ai évidemment sursaute car il m’a surprise. J’ai vécu cette intervention comme une agression.
Puis je lui ai rétorqué que je n’avais jamais écrit qu’il était une “secte”. Il a alors fait machine arrière et m’a dit qu’il “n’avait rien dit”. Je lui ai alors dit que j’avais été néanmoins “très en colère” à la suite de ses propos sur l’amnésie traumatique et que j’avais de fait critiqué sa position dans mes écrits. Puis je lui ai dit que s’il souhaitait déposer plainte contre moi, il était libre de le faire.
La façon dont il m’a agressée m’a évidemment sidérée. Mon corps tremblait. Je n’ai même pas vu les témoins qui étaient présents. Heureusement des camarades bienveillantes du DU m’ont soutenue et constaté mon état de choc.
Une d’elles le confirme: “tu étais dans un sentiment de détresse à la suite de ton échange avec M. Lopez. J’ai tenté de t’aider à redescendre malgré ton indisponibilité psychique à ce moment là. Tu semblais dans un état de sidération important et en même temps une grande agitation, soutenue par des tremblements massifs. Ton attitude était sans doute reactionnelle mais au regard de ton éparpillement émotionnel, il m’a semblé nécessaire de te rassembler pour revenir à un état qui te permettrait d’accéder à un apaisement”.
Ce que j’ai vécu suite à cette agression est une dissociation traumatique typique. J’ai pu ensuite reprendre mes esprits.
J’ai appelé mon avocat Me Gilles-Jean Portejoie pour le tenir au courant de l’événement. Ce dernier, fidèle à lui même avec le recul qui le caractérise, a trouvé cette nouvelle “formidable” et avait hâte que je reçoive le papier bleu caractérisant une plainte en diffamation. Le tout avec une forte lucidité et la grande confiance qu’il m’accorde depuis le début.
Nous avons déjeuné avec une copine. Je lui ai demandée de me protéger en revenant en cours dans l’après midi, étant encore secouée et bouleversée.
Il est entré dans la salle en jetant dans ma direction un regard noir. Je l’ai ignoré.
M. Lopez était au courant de mon histoire. L’amnésie traumatique dont j’ai été victime suite à des viols que j’ai subis lorsque j’étais âgée de 5 ans. J’avais été transparente au moment de mon inscription à ce DU. Depuis le début de la formation, il n’a eu cesse d’exposer les mêmes théories concernant sa supposée “épidémie de faux souvenirs” et la “rareté” de l’amnésie traumatique qui m’ont beaucoup affectées.
Soucieuse de rétablir l’équilibre en raison de la présence de nombreux thérapeutes dans ce DU, je n’ai eu de cesse, aux côtés de collègues, d’intervenir dans les cours pour rappeler les études (Brière, Williams) attestant de 40% de cas d’amnésie traumatique chez les victimes violées dans l’enfance.
Dans une démocratie, le débat a sa place. Personne ne le conteste.
En revanche, proférer une menace de façon agressive, sans avoir pris connaissance au préalable par lui même des dits articles, et qui plus est usant de son statut de directeur de cette formation en me surprenant, c’est clairement de l’intimidation destinée à me faire taire, à NOUS FAIRE TAIRE. Non seulement c’est intolérable mais cela ne marchera pas.
Pour conclure, je reste persuadée que notre cause parce qu’elle est juste et concerne de nombreuses victimes, notamment d’inceste, comme le souligne Laurent BOYET et, qu’il faut continuer à se battre quels que soient les obstacles. D’ici quelques années, plus personne ne doutera de la réalité médicale, scientifique et sur l’étendue de l’amnésie traumatique suite à des violences sexuelles. Nous aurons été en tant que victimes, dans le sillage des travaux de la Dre Muriel Salmona (Association Mémoire Traumatique et Victimologie) et à ses côtés, parmi les pionniers de cette question cruciale.
Belle nuit à tous,
Mie Kohiyama pour le groupe #MoiAussiAmnesie