Bonsoir à toutes et à tous,
Suite à notre récent appel sur les créations artistiques liées à l’amnésie traumatique, vous avez répondu en nous envoyant vos propres créations. Et nous trouvons cela formidable car en proposant cette participation, nous pensions à des textes ou chansons…etc existants évoquant l’amnésie traumatique.
Mais recevoir vos créations a beaucoup plus de saveur.
Ce soir, nous commençons donc par le conte d’Odile qu’elle a écrit pour soutenir et encourager son beau-frère Ludovic, 44 ans.
En 2015, Ludovic s’est brusquement remémoré avoir été agressé sexuellement enfant par un prêtre, Benoît Huet, en découvrant la condamnation de celui-ci pour viol sur mineurs. Des faits qui lui sont remontés à la conscience après 30 ans d’amnésie traumatique. Il avait 12 ans lorsque le père Huet a commencé à s’en prendre à lui.
Le viol d’un enfant pour lequel le père Huet a été condamné est intervenu après les actes subis par Ludovic.
Infirmier et père de 4 enfants, Ludovic a ensuite sombré dans de fortes phases dépressives. En décembre dernier, il a courageusement décidé de témoigner dans la Voix du Nord. Nous publions donc son interview ainsi que que le conte d’Odile, qui nous a-t-elle dit, est utilisé par des thérapeutes pour aider leurs patients. Une belle chaîne humaine vertueuse et utile.
Belle soirée,
Mié Kohiyama pour le groupe “MoiAussiAmnesie”
Il était une fois vivait au pays de la Réalité
un petit garçon tout gentil tout mignon.
Il allait au caté (NDRL: bien lire caté)
“aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés”, ça disait.
C’était beau, ça lui plaisait.
Un jour, le curé se mit à le tripoter.
“J’veux plus y aller”, dit-il à sa mère une fois rentré.
“Bien sûr que si faut y aller, j’veux que tu sois bien éduqué”, sa mère a rétorqué.
Obligé, impuissant, il se sentit d’un coup sous la domination des
grands.
Sans eux comment survivre, où manger où dormir ?
Pour ne pas mourir, il était forcé d’obéir.
Comme eux, faire comme si de rien n’était.
Mais comment faire vivre cela à un enfant, c’était trop sidérant.
Son cerveau se mit à vriller : il prit tout sur lui, la honte, la
culpabilité.
C’était pourtant pas à lui, quelque part il le savait.
Ah si seulement il pouvait tout oublier, de ce cauchemar se réveiller.
Un jour, ça se mit à s’arrêter. Il fut soulagé.
Malheureusement, c’était d’autres petits comme lui qui y passaient.
Mais ça il l’ignorait.
Lui à son bourreau restait ligoté par ce terrible secret.
Il en était épouvanté ; se taire, faire ami-ami c’était se protéger.
Ce curé, beaucoup l’encensaient, aveuglés qu’ils étaient,
comme si c’était Dieu personnifié.
Orgueilleux, ils se vantaient de l’avoir à leur table invité.
Pourtant, il dégoulinait d’une libido sordide, névrosée ;
avec arrogance, il trônait, le ventre tout gonflé,
comme le psy jadis renommé, gros cigare à la bouche à moitié consumé,
mais ceux qui ne l’aimaient pas, on disait qu’ils étaient cinglés,
que c’est eux qui avaient des mauvaises pensées.
On s’arrangeait pour les éloigner et les discréditer.
“Ce Père est un bon vivant”, disait-on négligemment.
Et les “on” c’était des grands, ils devraient protéger les enfants !
C’est l’amnésie qui se chargea de protéger le garçonnet traumatisé.
Au fond de lui, pourtant, ce secret sourdait comme un abcès bien rentré,
impossible à digérer : à l’intérieur de lui, ça pourrissait.
D’une maladie du côlon il faillit même crever.
Fuir, déménager.
Trente ans après, le curé fut arrêté : 3 ans de prison pour viol d’un autre jeune garçon.
“Moi aussi dans mon enfance j’ai été violé”, dit-il en tant qu’accusé.
“Violez-vous les uns les autres comme je vous ai violés” ?
Mais quand est-ce que ce cercle vicieux va s’arrêter ?
Chez le petit garçon devenu grand, la remontée des faits d’antan
fut comme un tsunami qui déchire l’océan.
Deux parties en lui se battaient :
le petit garçon encore terrifié qui avait absorbé la honte et la culpabilité
“je vais mourir si ça se sait”,
et l’adulte père de famille qu’il était avec un fils de l’âge qu’il
avait au moment des faits
“jamais je ne laisserais ces choses à mon fils arriver”.
Dans une grave dépression il se mit à sombrer :
tant d’émotions à gérer dans son intériorité fractionnée.
Souvent il pleurait. Sur son enfance gâchée, son innocence volée.
Parfois la colère montait, contre ce criminel curé,
l’aumônerie qui le couvrait,
les paroissiens qui, par leur silence, leur indifférence,
l’autorisaient à exercer sa perversité,
ses parents défaillants,
que pourtant il aimait.
Oser parler. Que tout, enfin, soit révélé.
Avec courage, toute son histoire il publia,
à la Une locale du journal “La Voix”.
Que pensez-vous qu’il arriva ?
Des mots d’excuse, de soutien ?
“On est tellement désolé pour toi, on n’a pas vu, pas été là”?
Rien rien rien, et rien de rien.
Pas étonnant, vous me direz. Et cela aussi est à révéler :
car si ces crimes peuvent se perpétrer,
c’est justement grâce à la complicité de toute une communauté.
Par la justice pas inquiétés, ces paroissiens se sont-ils questionnés sur leur responsabilité ?
Faut croire que non. Pourtant, à l’aumônerie, ils exercent encore des fonctions.
Alors, amis d’Armentières,
soyez prudents à qui vous confiez vos enfants,
pour ceux qui ne sont pas les vôtres aussi soyez vigilants !
Ne vous fiez pas à ce que disent ces gens d’hier :
entre leurs paroles et ce qu’ils font, c’est un immense fossé sans fond.
Ne rien attendre de ces gens, c’est ce que comprit le petit garçon
devenu grand.
La puissance qu’il avait donnée à ce Père hué, il décida de la lui
retirer.
Sa vie : se la réapproprier, c’était sa priorité.
C’est la justice qui désormais allait le protéger.
Son innocence, il allait la récupérer.
Ainsi que son intégrité.
Son histoire telle qu’elle est, l’accueillir et l’aimer.
Devenir ainsi le héros de sa propre épopée :
secourir le petit garçon en lui abandonné
c’est lui-même qui allait s’y coller
l’aimer, le rassurer, le protéger,
l’aider à ressouder ses bouts d’âme éclatée
et à tous il finirait par montrer
qu’ils n’avaient pas le pouvoir – ça c’était terminé –
de le rendre malheureux et de le dominer.
Ils avaient voulu le tuer, mais non il vivrait.
Dans sa lignée probablement y en avaient
A qui la même chose était arrivée
Mais lui était le premier à clairement le révéler.
Il comprit qu’en traitant l’information
Il accomplissait sa mission :
arrêter de ces crimes la reproduction.
Finis ces secrets, ces non-dits empoisonnés.
Son action impacterait un futur modifié.
Dire il était temps, ça libère les descendants.
Même les textes sacrés le disaient :
« Heureux ceux qui lavent leurs vêtements : à l’arbre de la vie ils pourront accéder».
Son chemin était long, mais il savait qu’il aurait
des gens sur qui compter :
son beau-père du paradis où il était
sa belle-mère qui, ce curé, n’avait jamais piffré
sa belle-sœur qui un conte lui écrirait
son épouse qui l’avait de ce monstre sauvé
ses vrais amis par cette épreuve dévoilés.
Il pourrait aussi compter sur le soutien d’une autre communauté :
Car, bien sûr, sur Terre il existait
Des gens bienveillants qui veulent le bien des enfants.
D’eux il recevrait des signes de bonté, des p’tits cœurs en smiley :
Ça lui ferait du bien, ça l’encouragerait.
Il sentirait enfin autour de lui une vraie fraternité se développer.
Un sens à son histoire il commencera à trouver.
Tant de belles choses dans ce monde sont à créer.
Avec amour et solidarité.
Sans plus jamais aucun enfant sacrifié.
Quel bel écrit ! Très touchant et criant de vérité.