L’appel à témoins sur ces “premières fois” que nous ont volés des agresseurs continue de mobiliser nos lectrices et lecteurs.
Le thème n’est pas facile. Il est dur. Moche quand on aborde ces actes innommables commis par des adultes ou des aînés sur des enfants ou des adolescents (es). Il est toutefois salutaire de poser des mots sur cette réalité pour se représenter ces horreurs dans l’esprit des enfants ou adolescents que nous avons été…
Et comprendre ainsi en quoi ces actes criminels et contre nature pour des petits êtres engendrent d’autant plus des trous noirs et une plongée dans l’amnésie traumatique…avec un impact profond des années durant sur la vie des victimes.
Ce soir le témoignage émouvant et douloureux d’Elisabeth, 52 ans. Dont 27 ans d’amnésie traumatique. Merci à elle de nous avoir accordés sa confiance.
Tant que vous continuerez à avoir besoin et envie d’écrire ou de parler de ce thème, nous continuerons à vous céder la parole car telle est aussi notre raison d’être. Vous offrir cet espace d’expression et de liberté.
Belle soirée à toutes et à tous
Mié Kohiyama pour le groupe “MoiAussiAmnesie”.
J’avais 7 ans. Ça s’est passé chez mon oncle et ma tante où j’allais passer quelque fois la journée pendant les vacances. Il faisait très chaud, c’était l’été. Avec un cousin, plus âgé que moi, on allait jouer dans la colline à proximité de la maison.Je devais lui obéir car c’était lui l’aîné.
Un jour il m’a demandée de m’asseoir à côté de lui et a voulu que je regarde un magazine avec lui. C’était un magazine pornographique. A un moment donné, il a baissé son pantalon et a commencé à se caresser. Puis il m’a demandé de l’aider, de faire comme lui…..
Ca s’est reproduit par la suite. Je n’avais pas envie d’aller “jouer” avec lui mais voilà, je n’ai jamais rien dit, je le suivais et je faisais tout ce qu’il me demandait comme un automate.
Puis j’ai oublié. 27 ans d’amnésie traumatique…
Je suis devenue une enfant très réservée, angoissée. Les cauchemars se multipliaient, dont un en particulier, qui m’a réveillée en sursaut pendant de nombreuses années.
A l’adolescence, j’étais mal dans ma peau, j’avais des problèmes de concentration, de confiance en moi et une peur bleue des garçons. Mes copines avaient des petits amis, pas moi.
Un jour, à 17 ans, un jeune homme de mon âge s’est intéressé à moi. Lorsque nous avons voulu aller plus loin, (c’était notre première fois à tous les deux, du moins je le pensais pour moi) cela a été terrible. Je me suis effondrée en pleurs. Je ne comprenais pas pourquoi. Lui était désolé de me voir dans cet état et pensait que c’était de sa faute. Je l’ai rassuré, je lui ai dit que ça ne venait pas de lui, je savais que quelque chose n’allait pas en moi mais je ne comprenais pas quoi. Il a été merveilleux, très patient et les choses se sont doucement arrangées par la suite. Nous nous sommes mariés, nous avons eu deux enfants. Tout allait bien pour moi sur le papier.
Pourtant j’étais mal, toujours plus ou moins dépressive, stressée. J’avais également des comportements ou des réactions qui surprenaient mes proches (ce besoin de me laver les mains très souvent, le fait que je ne supportais pas qu’on me mette les mains sur la tête,…).
Vers l’âge de 34 ans, lorsque ma fille aînée a eu environ sept ans (l’âge des agressions sexuelles que j’ai subies), je me suis réveillée angoissée après avoir fait le même sempiternel cauchemar que je faisais enfant. C’était étrange car cela faisait des années que cela ne m’était plus arrivée. Et là en plus, dans ce cauchemar, j’ai vu mon cousin qui se masturbait devant moi.
C’était la première fois que le souvenir remontait mais j’ai minimisé en me disant que ce n’était pas bien grave…Et j’ai remis ça au fond de ma mémoire même si ponctuellement j’y pensais.
A 50 ans, j’ai entendu une émission sur l’inceste et ses conséquences, l’amnésie traumatique….C’est à ce moment là que j’ai compris mon problème. J’en ai parlé, pour la première fois,à mon mari et à mes deux grandes filles…
Ont alors resurgi une série de souvenirs sous forme de flashs. J’ai cru que je devenais folle. J’avais du mal à y croire même si au fond de moi je savais que tout était vrai. J’ai alors ressenti l’angoisse, la peur comme a pu les ressentir une petite fille de sept ans face à des actes ignobles qu’elle ne comprend pas. J’avais honte et je me sentais coupable car j’avais accepté de lui faire tout ce qu’il me demandait…..
J’ai un mari formidable qui m’a beaucoup aidée et qui m’a poussée à consulter. Je suis allée voir une psychothérapeute qui, par chance, connait bien le problème des agressions sexuelles. Elle m’a énormément aidée. J’ai 52 ans maintenant. Ça commence à aller mieux mais je sais que je suis encore psychologiquement très fragile avec des hauts mais encore, malheureusement, des bas.
Avec des angoisses comme j’en ai encore eu cette été (mes viols se déroulaient surtout l’été). Mais je sais que c’est normal, il faut se laisser du temps…..Je ne me sens plus coupable, je n’ai plus honte mais la colère est encore là: on m’a volée ma première fois!
Mes souvenirs de cette première fois volée? mes mains de petite fille salies par le sperme, une odeur qui me donnait la nausée, des mains posées sur ma tête et une envie de vomir….