Chères amies et chers amis,
C’est avec beaucoup d’émotion que nous publions ce soir le témoignage de Chantal, 41 ans, une membre d’un de nos groupes de parole à Paris.
Début mars, lorsque Chantal a participé au groupe, elle était à la fois extrêmement motivée mais également très fébrile car au tout début de sa démarche du processus de la récupération de ses souvenirs….Elle a donc fait preuve d’un courage extraordinaire. Elle n’arrivait alors pas, comme elle l’écrit à prononcer le mot “viol”.
Ce groupe a donc servi de révélateur à sa propre mémoire traumatique. Chantal vient de traverser une zone très douloureuse avec une bravoure et un coeur exceptionnel. C’est l’extraordinaire lumière dans les yeux de cette femme d’une douceur infinie –et pourtant passée par les pires violences– qui nous a extrêmement émues.
Alors merci à Chantal à qui nous exprimons et notre immense respect pour son courage, sa détermination, son abnégation (Chantal est maman de deux fils autistes asperger qu’elle a élevés à la force du poignet) et toute notre gratitude pour trouver en plus la force de livrer son témoignage. De libérer sa parole sur ses douleurs muettes.
Et plus que jamais, Chantal est l’incarnation de cette célèbre citation d’Albert Camus qui est un peu notre mantra: “qui répondrait en ce monde à la terrible obstination du crime, si ce n’est l’obstination du témoignage”. Qui plus est sur des faits d’une immense souffrance qui n’auront jamais, jamais de réponse judiciaire.
Belle soirée à toutes et à tous.
Mié Kohiyama, pour le groupe MoiAussiAmnesie
PS: la photo qui accompagne le témoignage de Chantal est une plume car nous lui avons posée la question de ce qu’il l’apaisait le plus de façon générale. Et sa réponse a été une plume.
Avant de me souvenir il y a de cela quelques mois, je me demandais comment on pouvait survivre à ça… Comment les victimes pouvaient survivre au viol, étant si intimement persuadée que le viol était un crime, un meurtre de l’âme.
Avant de me souvenir, il m’était impossible de prononcer le mot viol, ni même de l’écrire. Tandis que de le lire ou l’entrevoir dans un film m’était absolument insupportable.
Pourtant, je ne réussissais pas à me sentir concernée. Je vivais “cachée” dans un profond évitement..
Je me posais sans cesse cette même question jusqu’à ce qu’un jour, comme si j’avais trouvé un verrou duquel j’avais doucement tourné la clé, mes terrifiants souvenirs se mirent à me submerger.
Depuis, chaque jour, la porte s’ouvre un peu plus grand.
Chaque jour, je suis confrontée à l’impensable cruauté de ce qui m’est réellement arrivé.
Chaque jour en moi, la blessure grandit et la douleur me fait vaciller.
C’est un puzzle qui se construit dans la peine et la douleur, au gré des résurgences de mémoire traumatique. Sans prévenir.
Avant l’âge de quatre ans j’ai été violée par mon père.
Entre quatre et six ans j’ai été par lui livrée, sans doute vendue, à d’autres hommes.
Violents.
Violeurs.
Puis il y eut un répit car il était absent.
Entre mes dix et douze ans, des viols se sont à nouveau produits et un peu plus tard encore d’autres.
Je souffre en mon être tout entier de ne pas avoir été aimé, de ne jamais avoir été protégée, d’avoir été niée en tant qu’enfant et en tant qu’humaine, d’avoir été volée à moi-même, d’avoir été objetisée et méprisée au plus haut degré. Je souffre de la douleur insupportable d’avoir été violée.
Mais autant que je souffre, je garde confiance et je cueille tout ce qui pour moi est bon et beau. Tous les jours et sans relâche.
Alors j’ai aujourd’hui ma réponse : oui, on peut survivre au viol.
Une part de moi est encore douloureusement enterrée. Mais je travaille à la récupérer.
Chaque jour je participe à mon propre sauvetage, chaque jour je récupère ce qui m’a été pris. Je me reconstruis en me construisant une vrai belle vie dont je ne souhaite plus jamais me priver.
Je remercie du fond du coeur “Moi aussi amnésie” de m’avoir aidé à trouver le chemin, de m’aider à trouver de la force les jours où elle me fait défaut en amenant tant de bienveillance et de soutien à toutes les victimes, d’avoir compris de quoi nous avons toutes et tous tant besoin. Je remercie mon amie F. pour son écoute, son attention et son amitié sans faille.