Chères amies et chers amis,

Nous publions aujourd’hui le témoignage emblématique et émouvant de Blandine B., 66 ans. Blandine a été violée par son oncle, un prêtre, lorsqu’elle avait six ans. Il en avait une trentaine d’années.

Un prêtre en vue qui a fait carrière tandis que Blandine s’est battue avec sa propre famille qui l’a totalement reniée. Elle a porté plainte même si les faits étaient prescrits et a alerté la hiérarchie ecclésiastique de ce prêtre en vain dans les années 90, à une époque où la Parole libérée n’existait pas encore et où l’omerta de l’Eglise était encore plus forte. Son courage et sa détermination sont d’autant plus remarquables.

Nous tenons à lui rendre hommage et à travers elle à rendre hommage à toutes ces victimes quinqua, sexagénaires ou plus…etc qui se sont battues en ces temps où régnaient le pire déni.

Le témoignage de Blandine, qui a suivi le procès Barbarin sans se faire d’illusion sur son issue, clôt ainsi une semaine consacrée aux victimes des prêtres pédocriminels ainsi qu’à leur hiérarchie complice de ces crimes.

Merci à toutes et à tous de nous avoir suivis, relayés. C’était une semaine historique pour les victimes de prêtres pédocriminels qui doivent beaucoup à l’action et persévérance remarquables de La Parole Libérée.

Nous n’oublions cependant pas que plus de 80% des violences pédocriminels ont lieu dans un cadre intrafamilial et qu’il reste aussi beaucoup à faire dans d’autres institutions où des pedocriminels sont au contact d’enfants.

Bon weekend à toutes et à tous,

Mié Kohiyama pour le groupe “MoiAussiAmnesie”.

PS: Blandine nous a autorisées à publier deux photos d’elle, une lorsqu’elle était enfant et l’autre une photo d’elle récente.

Je m’appelle Blandine B. J’ai 66 ans. Je suis formatrice.

Peu après ma naissance, nous sommes partis en Algérie où mon père était gendarme. Nous sommes revenus en 1958, j’avais six ans et j’ai alors vécu chez mes grands-parents maternels en Vendée dans l’attente de la nouvelle mutation de mon père.

Les souvenirs de viols que j’ai subis à six ans ont resurgi à 38 ans lors d’un rêve. Mon père venait de décéder. Je pense que sa mort m’a en quelque sorte libérée. 32 ans d’amnésie traumatique totale.

J’ai été violée par mon oncle le frère de ma mère qui était prêtre. Il avait la trentaine. Je me suis d’abord rappelée avoir été emmenée précipitamment chez ma grand-mère qui m’a mise sur un seau. Et moi lui disant: “grand-mère, j’ai du marron dans ma culotte” avant de me mettre à sangloter. Après je me suis vue dormir dans le même lit que mon oncle. A l’époque, c’était mon “dieu”. Il avait une telle aura, il me fascinait je le trouvais super…Après je me vois en petite chemise de nuit rose et des adultes me rhabillent…

Ma thérapeute, une docteure en psychanalyse extraordinaire, m’a tout de suite crue. Mon parcours, mes phobies, des angoisses et paniques de mort épouvantables, une vie sexuelle pas terrible et des somatisations graves ont alors fait sens.

La résurgence des souvenirs s’est faite en douceur même si j’étais bien étourdie pendant cette période. J’avais un grand besoin de parler. Je voyais ma thérapeute deux fois par semaine et je me baladais beaucoup avec mon mari.

Lorsque j’ai dévoilé les faits à ma mère, elle a hurlé au scandale, à la folie à la mythomanie. Elle m’a répondue ces quatre phrases qui restent gravées dans ma mémoire: “C’est pas vrai. Tu ne peux pas t’en souvenir. Faut oublier tout cela. La psychanalyse, ça remue la merde”.

Ma mère a ensuite fait savoir à mes soeurs qu’elle ne me reverrait plus tant que je raconterais cette histoire. Elle est ensuite partie s’installer à Martigues avec mon agresseur, qui était toujours curé. Ils ont même acheté un appartement en commun. Mes soeurs ont également fait une croisade contre moi en disant que j’étais “folle” et que je racontais des mensonges. Une famille dans le déni avec qui j’ai coupée les ponts à quelques exceptions près, une tante et ses enfants.

Quelques années après la résurgence des souvenirs, j’ai déposé plainte même si les faits étaient prescrits. J’ai été reçu par un inspecteur de police à l’écoute. Ma plainte a été classée sans suite du fait de la prescription. Je n’ai jamais su si mon oncle avait ou non été auditionné.

Je l’ai contactée par téléphone. Il m’a répondue que ce serait “parole contre parole”, que je manquais d’intelligence comparée à lui qui avait “fait carrière”. J’ai répondu que je n’avais peut être pas beaucoup lu mais je me souvenais bien du Tartuffe de Molière. Puis, il m’a envoyée une lettre en m’écrivant que “si je rendais la chose publique”, il me ferait un procès.

Par la suite, j’ai mené l’enquête en Vendée où l’on m’a expliquée que mon oncle “était indésirable”. Un cousin m’a rapportée qu’on disait de lui qu’il “aimait bien les toutes jeunes filles”. Il avait été interdit d’église et de chapelle dans ce département “par crainte du scandale”…

Il a ensuite été muté à Aix-en-Provence. Il était en passe d’être nommé vicaire général lorsque j’ai rencontré dans les années 90, l’archevêque de l’époque Louis-Marie Billé (1938-2002) pour lui raconter les faits. Quand nous sommes sortis de cet entretien avec mon mari, Mgr Billé a fait une grimace d’embarras. Pour moi ces démarches étaient indispensables mais je n’ai eu aucun écho par la suite. Les faits étaient prescrits, que risquaient-ils alors? A l’époque, j’ai mené mes actions seule. Je n’ai rien laissé passer. Il n’y avait aucune raison. On n’a pas le droit de faire cela car on touche à l’âme.

Mon oncle a fait une très belle carrière. D’abord professeur en Vendée, il a été ensuite directeur d’un prestigieux lycée aixois où se pressaient les enfants de la bonne bourgeoisie. Puis curé doyen de Martigues. Il est mort en août 2005 et fut enterré en “odeur de sainteté”. Dans l’église de la Madeleine à Martigues, il y a une grande plaque avec son nom et celui de Monseigneur Billé…. Tous deux très investis dans la restauration de l’église en question etc etc….

Entre temps ma mère m’a déshéritée, mes sœurs ont reçu comme “récompense” de leur soutien l’appartement de Martigues, une assurance vie et la quotité disponible de ma mère…. mon frère a été traité de la même façon que moi à partir du moment où il m’a enfin crue.

Je n’ai pas su si mon oncle avait fait d’autres victimes. Il était finot.

Rien à rajouter, si ce n’est ces phobies, ce mal être, ces névroses invalidantes avec malgré toute cette trahison, cet abandon, le fait que je me suis toujours tenue debout, avec mon mari mes deux enfants…Leur naissance a été une lumière. J’ai eu de la chance. Aujourd’hui je m’occupe beaucoup des mes petits-enfants.

Mais Dieu que de moments de chagrin, de douleur, de révolte, de sentiment de n’avoir jamais été réparée, d’être une adulte vieillissante boiteuse avec au fond de l’âme, l’absence d’un sourire de ma mère, de mes sœurs, une demande de pardon, et l’épuisement d’appeler au secours.

J’ai coupé avec beaucoup de souffrance, j’ai réussi à avoir un équilibre boiteux. Il est vrai que si les faits avaient été reconnus par ma famille, j’aurais connu un apaisement. Je me suis toujours dit que si mon père l’avait su, il l’aurait tué.

Je n’ai pas médiatisé mon histoire. Je me méfie des médias qui veulent faire de l’audience. J’ai simplement écrit à la presse catholique. Je participe à des forums. J’ai découvert La parole libérée, votre site MoiAussiAmnesie.

Barbarin, je pense qu’il va s’en sortir. Je ne me fais aucune illusion. Comme il l’a lui même dit “grâce à dieu les faits sont prescrits”.

Il faudrait supprimer la prescription des crimes sexuels sur mineurs. C’est une bonne chose que l’Eglise soit ciblée. On a besoin d’un ministère de l’Enfance. Etre davantage soucieux de ce qu’il se passe dans les familles. Que les professionnels dans les institutions soient formés à déceler le mal être des enfants. Un travail de fond est nécessaire. Il y a un manque total de connaissance de l’enfant et d’écoute. Mon père avait coutume de dire “les grandes douleurs sont muettes”.

Il faut commencer par là, les enfants…les faire parler et les écouter, comprendre leurs silences, leurs regards. C’est une question d’intuition. Et croire en leur récit. Démystifier leurs dieux, leur apprendre leurs défauts et la monstruosité de certains de ceux qui les entourent. Il n’y a aucune raison à ce qu’on souffre à cause de pervers.

J’ai de l’espoir car le monde tourne grâce aux petites fourmis.

Ce sont les victimes qui m’importent et le désir de les voir debout et dignes est un devoir. Même si les pervers sont armés de mitraillettes, les mains nues des meurtris sont des outils qui accumulés peuvent se montrer bien plus efficaces.

Merci de m’avoir lue, et courage à toutes celles et ceux, qui victimes eux aussi, refont surface, sans avoir été réparés, mais qui sont des personnes dignes, dans la vérité. Qu’elles en soient remerciées a l’infini.

Blandine, 66 ans