Chers amis,

Comme vous le savez, un des objectifs de notre combat collectif est de convaincre le législateur d’introduire l’amnésie traumatique dans la loi. C’est à dire permettre, si tel est leur souhait, aux victimes d’amnésie traumatique suite à des violences sexuelles de déposer plainte quand les souvenirs des viols resurgissent quel que soit le temps écoulé ou la prescription pénale éventuelle.

  • Sur quelles bases juridiques ?

Notre argument s’appuie sur la notion d’« obstacle insurmontable » qui existe depuis des années dans la jurisprudence et qui est désormais inscrit dans le code de procédure pénale à l’article 9-3 de la nouvelle loi sur la prescription pénale de février 2017.

La loi dispose donc désormais clairement que le délai de prescription doit être suspendu lorsqu’il existe un obstacle de fait ou de droit à l’exercice des poursuites.

En théorie dès lors, les juges dans leur appréciation souveraine, et si tant est que l’amnésie traumatique soit prouvée, peuvent tout à fait valider le mécanisme comme un « obstacle insurmontable » et considérer que le délai de prescription redémarre à partir de la résurgence des souvenirs en provoquant ainsi l’ouverture d’instructions dans des affaires de viols sur mineurs prescrites sur le papier.

Pour caractériser l’obstacle insurmontable, les juges devront donc exiger un faisceau d’indices prouvant l’amnésie traumatique, l’impossibilité réelle de la victime à déposer plainte pendant toutes ces années, ce qui permettrait ainsi d’objectiver l’amnésie traumatique à l’aide d’éléments extérieurs au mécanisme neurologique en lui-même. (critère d’externalité propre à la force majeure, notion de droit civil rattachée à l’obstacle insurmontable).

Prouver le début de l’amnésie traumatique peut par exemple se faire via des certificats médicaux, des témoignages de pédiatres ou d’instituteurs, des éventuels journaux intimes. Quant à la date de sortie de l’amnésie traumatique, elle peut être prouvée par des attestations médicales si la révélation a eu lieu dans ce cadre, des attestations professionnelles révélant un changement d’attitude subi de la victime ou bien encore des confidences à des proches entre autres.

Une fois l’amnésie traumatique établie, la plainte pourrait être déclarée recevable et l’affaire éventuellement instruite dans le cadre d’une enquête normale avec les difficultés d’usage: la nécessité de prouver par des indices graves et concordants les viols. Rappelons que dans les faits de pédophilie, il peut y avoir des prédateurs en série, de multiples victimes et les aveux de l’auteur…

Il est également important de rappeler que dans son rapport de lutte contre l’inceste de 2009, Marie-Louise Fort, députée (ex-UMP), avait « recommandé que la prescription puisse être levée après une expertise psychiatrique révélant l’incapacité de la victime à dévoiler les faits plus avant ».
Elle soulignait: « le juge d’instruction gardera la faculté de déclarer le renvoi devant des juridictions ou des non-lieux en cas de preuves insuffisantes. Mais en revanche, la parole des victimes sera entendue et les preuves étudiées, (aveux des auteurs, nouveaux témoignages) ».

 

  • Qu’en disent les victimes ?

Tout d’abord, ce combat n’est pas destiné à « figer la société dans l’humeur de la victimisation » pour paraphraser Paul Ricoeur, bien au contraire. Chez les victimes, est particulièrement prégnant le besoin de reconnaissance par la loi en vue de se reconstruire.

Le Dr Gilbert Vila, psychiatre du centre de victimologie pour mineurs de l’hôpital Trousseau explique d’ailleurs que « la reconstruction des personnes victimes passe autant par la réparation juridique que psychologique. L’articulation entre le soin et le juridique n’est quasiment jamais pris en compte alors que c’est un aspect essentiel ».

– Giselle, mère de C, violée à deux ans et demi, amnésique jusqu’à 16 ans.

« Il faut vraiment que les pouvoirs publics prennent conscience de l’existence de l’amnésie traumatique et de la nécessité que cette amnésie soit considérée comme un obstacle majeur au dépôt de plainte différant le délai de prescription.

Le parcours des victimes est déjà suffisamment compliqué sur le plan médical, elles mettent souvent des années à trouver une prise en charge efficace. Il est presque impossible pour elles de mener en parallèle des démarches sur le plan judiciaire sauf pour celles qui ont le soutien de leur entourage ou qui ont suffisamment de force en elles pour y arriver. Il est donc nécessaire de faciliter ces démarches judiciaires, de faire en sorte que plus aucune victime ne se voit opposer cette notion de prescription car même si la prolongation du délai de 30 ans après la majorité semble être en bonne voie, il restera toujours des personnes dont l’amnésie sera plus longue. Il inconcevable qu’elles ne puissent pas obtenir réparation alors que leur vie a été fracassée ».

– Laurence, 51 ans, violée à 4 ans, 29 ans d’amnésie. A porté plainte en 1999 mais à l’époque les faits étaient prescrits dix ans après la majorité.

« Si l’amnésie traumatique avait été inscrite dans la loi ou la prescription inexistante, j’aurais pu me battre pour faire éclater la vérité. Une véritable enquête aurait pu être menée. Elle aurait probablement permis de trouver d’autres victimes, notamment ma nièce, et deux petites voisines de mon “oncle” qui jouaient parfois avec moi, à l’époque. On aurait pu les aider et sauver d’autres enfants. C’est sûr ! L’amnésie traumatique et la prescription sont les deux armes qui garantissent l’impunité des pédocriminels. Mon “oncle” est un homme dangereux qui sévit en toute impunité depuis l’âge de 16 ans, soit depuis plus de 70 ans. Combien a-t-il fait et fera-t-il encore de petites victimes ? Tant de souffrances qui pourraient être évitées… »

– Corinne, 46 ans, violée entre l’âge de 5 et de 14 ans, 30 ans d’amnésie :

« Ça permettrait de ne plus juger des enfants de 11,12,13 ans, comme n’ayant rien dit alors qu’il s’agissait de non réaction lié au fait que leur cerveau a disjoncté pour leur permettre de survivre ».

– Ray, 45 ans, violé entre 6 et 8 ans, 20 ans d’amnésie :

« C’est une nécessité pour permettre aux victimes de ne pas se sentir démunies quand elles prennent conscience que ce qui leur est arrivé et que la justice leur donne la parole pour rechercher ne serait ce qu’une reconnaissance et un pardon de leur agresseur ».

– Élisabeth, 50 ans violée entre 7 et 8 ans, 25 ans d’amnésie :

« Il est indispensable de tenir compte de l’amnésie dans la loi, il faut à tout prix que les lois changent, protéger les victimes, leur laisser le temps de se souvenir, de prendre conscience de ce qu’il s’est passé ».

– Mélissa, 24 ans, violée à 6/7 ans, amnésie de dix ans :

« Cela ferait comprendre les conséquences des actes de pédophilie à l’opinion. Et aussi pour permettre aux victimes de s’en sortir car comment peuvent elles le faire si elles ne sont pas reconnues ».

– Marie, 42 ans, violée à 12 ans, 26 ans d’amnésie :

« Reconnaître l’amnésie dans la loi favoriserait le chemin de résilience des victimes en leur permettant de se détacher de cette culpabilité et de de cette honte du jour où nous avons été salies ».

– Marie, 28 ans, violée de 3 à 10 ans, amnésique 15 ans.

« Je pense que cela permettrait au moins de sensibiliser le monde judiciaire à cette réalité ».

– Caroline, 40 ans, violée à 17 ans, 20 ans d’amnésie :

« C’est vital. Tant que l’amnésie n’était pas levée, je craignais d’être folle. L’amnésie c’est la meilleure arme des prédateurs sexuels. Elle leur sert à tout justifier. Pourquoi t’as pas parlé plus tôt ? Si t’as rien dit c’est que ce n’est pas si grave. Tous les poncifs de la culture du viol. Je pense que non seulement la loi doit prendre en compte l’amnésie mais que tous les agents judiciaires ou autres amenés à traiter ce genre de choses doivent être formés. Il n’est pas entendable de se voir reprocher une mécanisme de survie qui est d’autant plus la preuve de la violence subie ».

– « Antigone» (pseudo), violée à 7 ans, 40 ans d’amnésie :

« Oui pour que les victimes aient la possibilité de se reconstruire et que l’on identifie leur besoin primordial de reconnaissance ».

– Virginie, violée entre 13 et 16 ans, 24 ans d’amnésie :

« Oui car comment porter plainte pour des faits que la mémoire a endormis. Quand les faits reviennent c’est comme s’ils venaient de se produire. Trop longtemps après pour la loi et cela fait que ces actes restent impunis et que les victimes ne peuvent rien faire ».

– Françoise, 50 ans, violée entre 3 et 5 ans, 40 ans d’amnésie :

« Oui pas tant pour punir les violeurs qui doivent l’être mais surtout pour avoir avoir la reconnaissance d’une autorité qui défend les plus faibles ».

– Carole-Anne, 27 ans, violée à 11 ans, 4 ans d’amnésie :

« Oui pour les gens qui ne savent pas que cela existe, comment le cerveau se protège. Une fois la mémoire revenue, il faut ajouter le délai qu’il faut pour sortir du silence et de porter plainte, pour des soins adaptés ».

– Chloé, 37 ans, violée à 2 ans et demi, amnésique pendant 14 ans.

« Je suis sortie très tôt de l’amnésie mais n’ai porté plainte qu’à 36 ans. J’imagine la douleur de ceux qui sortent de l’amnésie bien plus tard que moi et qui doivent gérer à la fois le judiciaire et le traumatisme pour se rendre compte qu’il y a prescription ».

– Murielle, 43 ans, violée à 5 ans amnésique 31 ans.

« Oui car elle fait partie du crime. Elle doit être inscrite pour être enfin reconnue. Pour permettre de faire comprendre à l’opinion ce que vivent les victimes, pour prouver que le crime sexuel est cruel puisqu’il continue de torturer des années après ».

Mié Kohiyama pour le groupe “MoiAussiAmnesie”