Chers amis,

Deux jours après le vote historique du Sénat qui a entériné la possible reconnaissance de l’amnésie traumatique dans la loi et l‘allongement des délais de prescription dans le cadre du projet de loi sur les violences sexuelles, il nous semble utile de faire le point sur certains discours éculés au sujet des victimes de crimes sexuels et de rappeler l’objectif de notre association.

Selon certains responsables (minoritaires), cet allongement des délais de prescription (entériné et par l’Assemblée et par le Sénat) ou la disposition de François-Noël Buffet visant à reconnaître l’amnésie traumatique comme un élément suspensif de la prescription, risqueraient de donner des “illusions ou de faux espoirs aux victimes”.

Ce sempiternel argument a le don de m’agacer car il correspond à une époque révolue qui avait érigé en modèle, chez un grand nombre de responsables, un ton paternaliste ou de commisération à l’égard des victimes ainsi qu’une habitude constante à parler à leur place (sans évidemment les connaître vraiment…).

J’en veux pour preuve l’ensemble des rapports ou auditions sur la question des violences sexuelles par le passé, issus de travaux où les responsables parfois se contentaient d’entendre les présidents d’association mais très peu les victimes. Cette époque est révolue. Aujourd’hui, les victimes ont davantage de place y compris dans les rapports officiels les concernant.

Je rappelle en outre l’excellent travail au printemps 2017 de la mission de consensus menée par une victime et animatrice Flavie Flament et un magistrat Jacques Calmettes. Les conclusions de ce travail de fond de plusieurs mois au cours desquels magistrats, experts et victimes avaient été entendues, ont été très claires sur ce sujet:

“Il est souvent opposé que le risque plus important de non-lieu ou d’acquittement, du fait du dépérissement des preuves, constituerait une épreuve difficile pour les victimes. L’ensemble des victimes rencontrées dans le cadre de la mission de consensus ont cependant répondu à cette remarque qu’un refus d’instruire et donc d’écouter leur récit au simple motif du dépassement du délai de prescription serait plus traumatisant et incompréhensible qu’un non-lieu prononcé faute de preuves suffisantes”.
https://www.onpe.gouv.fr/…/rapport-sur-delai-prescription-c…

A l’automne dernier, nous avons en outre vécu une vague mondiale de libération de la parole avec le mouvement #MeToo, lors de laquelle les victimes de violences ou de harcèlement sexuels se sont clairement positionnées et leur parole entendue.

“Etre victime n’est pas une essentialisation” de l’être, comme l‘écrit Leila Slimani. On peut être victime et femme, homme, père, mère, professionnel(le); c’est-à-dire peut être avocat(e), magistrat(e), médecin, responsable politique. Ou comme moi journaliste. Les victimes sont donc des citoyens ou des citoyennes faisant partie de la société à part entière et s’informant sur le cours des choses. Et non des êtres décérébrés ou simplement fragiles. J’ai le sentiment là d’écrire une lapalissade importante toutefois à rappeler à certains…

Notre association “MoiAussiAmnesie” a toujours tenu un discours modéré et réaliste. Nous n’avons jamais fait croire que ces deux dispositions législatives (qui n’ont pas encore force de loi) régleront l’ensemble du problème de façon magique. Loin de là.

Que permettra la disposition de François-Noël Buffet (http://www.senat.fr/encommissi…/2017-2018/…/Amdt_COM-22.html)? que les juges puissent ordonner une expertise pour apprécier ou non l’existence “d’un obstacle de fait insurmontable” ayant empêché les victimes, et notamment les victimes d’amnésie traumatique de déposer plainte dans les temps impartis par la prescription. Et ainsi commencer à reconnaître — et c’est là tout l’enjeu– l’impact psychotraumatique des violences sexuelles commises sur les enfants.

Si l’amnésie traumatique est attestée par les experts et surtout validée par les juges alors la plainte pourra être instruite dans le cadre de n’importe quelle enquête de faits anciens de viols, c’est-à-dire avec la nécessité d’apporter des éléments de preuves externes au témoignage.

Nous ne tenons pas de discours démagogique car l’ensemble de nos adhérents tout comme un très grand nombre de victimes connaissent pertinemment les grandes difficultés et limites du système judiciaire actuel qui conduisent encore à une très forte impunité en matière de faits pédocriminels ou de viols en général.

Toutefois la disposition de M. Buffet, si elle est définitivement intégrée au projet de loi, permettra de donner le choix et la possibilité aux victimes d’amnésie traumatique de se lancer dans une procédure judiciaire en connaissance de cause et en ayant cette fois-ci –et c’est toute la différence– une chance de voir leur plainte instruite. Cette décision relève d’elles et d’elles seules et non de responsables s’exprimant à leur place.

Par ailleurs, un autre argument tout aussi éculé continue à être avancé par certains responsables. “La justice n’est pas une thérapie, il faut aider les (pauvres…c‘est moi qui le rajoute…) victimes à dépasser leur traumatisme avec d’autres moyens”.

Ce à quoi, nous répondons. “Merci cela fait longtemps que nous savons que la justice n’est pas une thérapie”. Et nombre d’entre nous sont engagés dans un travail thérapeutique long et douloureux depuis de très nombreuses années. Mais encore une fois, les victimes sont aussi des citoyens (ennes). Si ils ou elles ont subi un crime, c’est leur droit le plus strict de demander justice parallèlement à un travail thérapeutique. Demander justice c’est demander une réponse de la société au préjudice subi.

En outre, certains thérapeutes, dont le rôle est d’accompagner aussi les victimes dans leur travail de reconstruction et dans leur libre arbitre à décider ou non de s’engager dans une procédure judiciaire, ont observé la façon dont une thérapie pouvait parfois aller de pair avec un chemin judiciaire. Ainsi le Dr Gilbert Vila, psychiatre du centre de victimologie pour mineurs de l’hôpital Trousseau explique que “la reconstruction des personnes victimes passe autant par la réparation juridique que psychologique. L’articulation entre le soin et le juridique n’est quasiment jamais pris en compte alors que c’est un aspect essentiel”.

Pour conclure et expliquer clairement la démarche de “MoiAussiAmnesie”. Nous rejetons tout discours démagogique. Nous nous inscrivons dans notre temps qui est de redonner la parole, l’autonomie, la liberté, l’estime et le pouvoir aux victimes. “Pouvoir” au sens noble du terme, c’est-à-dire pouvoir sur leur vie, leurs décisions…etc. Simplement comme des sortes de médiateurs de l’évolution des temps…

Excellente après-midi et bon week-end à tous,

Mié Kohiyama pour le groupe « MoiAussiAmnesie ».

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