Chères amies et chers amis,
Nous revenons ce soir sur un témoignage du documentaire “Inceste, que justice soit faite” d’ Audrey Gloaguen diffusé sur France 5 le 5 février dernier qui nous a particulièrement ému et qui concerne notre cause.
Celui de Christelle, 40 ans, victime d’inceste par son père depuis l’âge de 6 ans et d’amnésie traumatique pendant 20 ans…Nous tenions à mettre en exergue son témoignage….
Avant la résurgence des souvenirs en 2004, Christelle se disait “heureuse”. Elle avait fait de brillantes études et occupait un poste de directrice financière jusqu’au jour où….
“Un soir je rentre du travail. Comme d’habitude, je mets les informations au 20H. Et au JT c’est là qu’on médiatise l’affaire d’Outreau. Et je reste scotchée sur mon canapé. C’est un électrochoc. Une onde qui parcourt le corps. Comme si le corps se réveillait avec la mémoire”, raconte-t-elle.
Ce que décrit Christelle, nombre d’entre vous nous l’avez décrit dans vos témoignages. La terrible résurgence de la mémoire traumatique que la Dre Muriel Salmona n’hésite pas à décrire comme une “torture”.
“C’est vraiment à partir de ce moment là où les flashbacks vont revenir et où le mot viol va revenir toutes les 5 secondes dans ma tête. Et les souvenirs qui réémergent qui surviennent vraiment comme des flashbacks à n’importe quel moment de la journée”, dit-elle.
Ces mécanismes de reviviscence que vous décrivez toutes et tous très souvent….Et qui sont totalement abominables à traverser, à gérer…
Dès l’âge de six ans, Christelle a commencé à être violée par son père qui lui a imposée un huis clos familial après le départ de sa mère dans un appartement où ils vivaient à Orléans. Ce qu’elle décrit de leur quotidien: les volets fermés, la nudité imposée par ce père incestueux est absolument terrible…Lui venant dans sa chambre la nuit et finissant “par la pénétrer à chaque fois”.
De ces épisodes Christelle raconte:: “le souvenir que j’en ai, qui reste ancré en moi et dans mon corps c’est la sensation d’étouffement et de poids sur moi. Comme je suis trop petite, je suis incapable de le repousser”. Étouffement ou nausée, ce sont des sensations souvent décrites par les victimes de violences sexuelles dans leur enfance
Sans compter le fait que l’agresseur maquille ses agissements en prétexte fallacieux d’éducation sexuelle de sa fille….
A cette époque, Christelle se confie à une amie mais lui demande de ne pas parler et elle sombre en amnésie traumatique. Muriel Salmona explique bien que plus la victime est au contact de son agresseur et donc dissociée et plus l’amnésie traumatique dure….Longtemps. Ce n’est que des années après que les souvenirs au hasard d’un élément lié au traumatisme ou d’un choc émotionnel entre autres que la résurgence des violences sexuelles peut se produire.
D’où l’importance de rappeler notre combat qui consiste à demander la reconnaissance de l’amnésie traumatique dans la loi comme un obstacle insurmontable suspendant la prescription.
Car pour Christelle, les faits n’étaient pas prescrits. Elle a donc porté plainte à 33 ans mais pour nombre de victimes d’amnésie traumatique liée à des violences sexuelles, les faits sont prescrits. Elles doivent donc avoir le choix de pouvoir ou non engager une procédure après la résurgence de leurs souvenirs….Aujourd’hui la loi autorise les victimes de viols sur mineurs à déposer plainte jusqu’à 48 ans mais cela ne concerne que les victimes nées après le 6 août 1980 soit après l’entrée en vigueur de la loi Schiappa.
Avec sept ans de recul, (Christelle est aujourd’hui âgée de 33 ans et sa procédure est toujours en cours), elle a une certaine amertume: “j’étais à mille lieux d’imaginer que la justice serait aussi lente et qu’il faudrait autant d’énergie. J’en suis à sept ans de procédure au total. Si j’avais su combien ce serait aussi épuisant et important, je ne suis pas sûre que j’aurais déposé plainte”…..
Cette parole de vérité de Christelle nous rappelle pourquoi un si faible pourcentage de victimes dépose plainte. Et ce documentaire remarquable en a simplement exposé avec beaucoup de finesse et de profondeur les raisons….
Mié Kohiyama, présidente de MoiAussiAmnesie