Chères amies et chers amis,
Raphaëlle, 50 ans, a répondu ce soir à notre appel sur les témoignages de ces “premières fois volées” par des agresseurs. Un appel mû par l’idée de faire comprendre à nos lectrices et lecteurs l’impact terrible de viols dans l’enfance ou l’adolescence.
Raphaëlle décrit avec une grande précision ce que la Dre Muriel Salmonaexplique très bien comme une conséquence des viols notamment précoces: la dissociation traumatique et le fait d’avoir la sensation de passer à côté de sa vie.
Pour le reste, le témoignage courageux, fort, concret, précis, sans concession de Raphaëlle se passe de commentaires. Respect. Un grand merci à elle de nous accorder sa confiance.
Bonne soirée à tous,
Mié Kohiyama pour le groupe “MoiAussiAmnesie”.
La première fois j’avais 5 ans. Les souvenirs de cette première fois resurgiront à 45 ans, soit après 40 longues années d’amnésie traumatique totale. C’était il y a cinq ans et aujourd’hui tout s’explique…
Avant les faits, j’étais une petite fille pleine de vie, joyeuse, une meneuse. Sur les photos, on me voit rire, être heureuse….
Du jour au lendemain, tout a changé. Je suis devenue ingérable et surtout très très méfiante vis-à-vis de tout le monde. Je ne voulais plus voir personne. Je ne voulais plus sortir. Je ne voulais plus que mes amis viennent chez moi. Je me suis renfermée sur moi-même. Je me suis coupée du monde. J’avais construit un petit personnage trouvé dans un œuf Kinder. Il est devenu mon unique confident….
Adolescente, j’ai fait une tentative de suicide. J’ai commencé à m’alcooliser.
A cet âge où les autres parlaient de leurs petit(e)s ami(e)s, même si je les entendais, je ne rêvais pas à ça mais je ne savais pas pourquoi. Je me pensais folle, totalement à côté de tout. Pourquoi je ne voulais pas moi aussi avoir un petit copain ?! Pourquoi cela me dégoûtait ? Me faisait peur ?
Cette première fois volée, qui a détruit tellement de choses en moi, a été jusqu’à détruire tous mes repères. L’année de mes 13 ans j’ai accepté un rapport sexuel avec mon cousin de 17 ans qui ne voulait pas être idiot avec sa copine car elle avait de l’expérience. Cela m’a parue normal de lui donner mon accord. La suite c’est un énorme trou noir, aujourd’hui encore, même si bien sûr je sais ce qu’on a fait, enfin surtout lui….
Vers 16-17 ans, je ne me souvenais toujours de rien mais je refusais tout contact. Presque personne ne pouvait me toucher sans que je sursaute, que je hurle parfois surtout quand je ne m’y attendais pas….J’étais toujours sur la défensive et immédiatement dans l’agressivité…
Dans ces conditions, difficile d’imaginer une première fois comme les autres la racontaient… Tout ça sans savoir pourquoi et cela compliquait sérieusement les choses. Je me sentais encore plus différente des autres, encore plus “dingue” que je ne le pensais déjà de moi…
Quand à ce que j’ai cru alors être ma “première fois” vers 18 ans et demi : j’étais imbibée d’alcool et ce fut une relation avec une femme.
Pendant de très nombreuses années, j’ai été totalement absente à ce qui se passait dans la relation intime.
Non seulement, des agresseurs nous ont volés notre enfance, notre adolescence, mais une grande partie de notre vie a été bancale…Certes maintenant, à la lumière des faits ignobles que j’ai subis, tout devient clair et compréhensible…
Mais pendant toutes ces années, c’est comme si je me suis regardée vivre de loin, très loin….
Je ne m’impliquais pas dans ma vie, je ne la vivais pas, alors encore moins dans ces moments d’intimité.
Ce qu’il me reste de ma première fois volée ? mon père m’enlevant mon pyjama…”