Dans un article volontairement catastrophiste intitulé “Alerte aux +victimes+ imaginaires”, un psychiatre –dont je n’ai plus envie de citer le nom mais que vous connaissez tous– a une nouvelle fois mis en avant la fameuse théorie anti-victimaire des “faux souvenirs”.

Cet article est un tissu de sophismes, de contre-vérités non chiffrées, le tout pour soutenir un argument fallacieux totalement tendancieux, très douteux voire même dangereux.

Première confusion: ce “soignant” parle de “victimes” et de “plaignants”. Que je sache, il n’est ni juge, ni enquêteur. En tant que médecin, il est sensé “prendre soin” de patients et de patientes, travailler à partir de leur vérité psychique et non d’un jugement à l’emporte-pièce.

L’amnésie traumatique, je le rappelle existe et est très fréquente. Entre 40 et 60% d’amnésie totale et partielle chez les victimes de viols subis quand elles étaient mineures.

Ce monsieur nous ressert la fameuse théorie des “faux souvenirs” qui est apparue aux Etats-Unis dans les années 90 et qui consistait à dénoncer des souvenirs suggérés par des thérapeutes. Entre temps, cette théorie a été invalidée scientifiquement. En outre, les études montrent que très peu de souvenirs de viols resurgissent pendant des thérapies. L’ensemble de vos témoignages nous l’ont également montrés.

Et ce “docteur” de ressasser sa théorie sur une “possible épidémie de faux souvenirs” qui pourrait être déclencher par “le matraquage des réseaux sociaux”. Il dénonce au passage la campagne #BalanceTonPorc en bon promoteur de la culture du déni et du viol. Et Flavie Flament qui a tant fait pour faire connaître l’amnésie traumatique en France, devient sous sa plume ironique et méprisante une “experte désignée” par l’ancienne ministre de la Famille, Laurence Rossignol.

A l’appui de son soit disant raisonnement, il soutient que “les centres d’accueil de victimes voient arriver de plus en plus de personnes en souffrance croyant à tort avoir été violées dans leur enfance”….

Là on croit carrément rêver. Qui est-il pour affirmer cela? où sont les chiffres? quelle sorte de soignant est-il pour décider de poser un jugement définitif sur la vérité d’un patient?…..C’est GRAVISSIME et complètement contraire à la déontologie d’un psychiatre.

Nul chiffre, nulle étude appuyant ses affirmations dans son article mais en revanche une litanie de termes catastrophistes: “recrudescence”, “phénomène qui a atteint une telle ampleur”, “catastrophe qui semble se profiler” “épidémie”…etc.

Et pour appuyer ses propos biaisés, ce Monsieur évoque évidemment une campagne poussée “par une idéologie sectaire”…

Rétablissons les choses, déjà “les fausses allégations de violences sexuelles chez les personnes qui portent plainte sont rares : une étude aux USA de 2010 très documentée les estime à moins de 6 %, une autre de Rumney en 2006 les estime entre 3% et 8%, et une étude de Trocmé qui analyse les fausses allégations de violences sexuelles commises sur des enfants les évalue à 6%, ces fausses allégations n’étant d’ailleurs pas du fait des enfants mais surtout de proches voisins et de parents qui n’ont pas la garde de l’enfant (Lisak, 2010 ; Rumney P. 2006, Trocmé N., 2005)”, rappelle la Dre Muriel Salmona, psychiatre dans son article référencé sur l’amnésie traumatique

L’amnésie traumatique. Un mécanisme dissociatif pour survivre

En revanche souligne-t-elle, “les amnésies traumatiques sont fréquentes et les souvenirs retrouvés doivent être pris en considération par les professionnels de la santé et les professionnels des forces de l’ordre et de la justice”.

Nous nous battons à ses côtés pour obtenir une reconnaissance de l’amnésie traumatique, son introduction dans la loi comme un “obstacle insurmontable” suspendant la prescription. Rappelons que le Sénat a déjà voté cette disposition. Rappelons aussi que le gouvernement a mis en avant l’amnésie traumatique comme un des arguments justifiant l’allongement des délais de prescription de 20 à 30 ans après la majorité des victimes, n’en déplaise à ce Monsieur.

Les élucubrations d’un soignant qui a récemment été entendu par les députés à l’Assemblée nationale sont donc très dommageables pour ce sujet de santé publique majeur dans la lutte contre les violences sexuelles.

Enfin, depuis qu’il affiche ses théories, nous recevons des messages des victimes en souffrance. Qu’est-ce que cela signifie concrètement? Des retours de mémoire traumatique très douloureux: des colères, des douleurs, des tensions, de l’abattement, des insomnies, un sentiment de trahison, un sentiment d’abandon…etc Et parfois pour certains des envies suicidaires…

L’impact des propos fallacieux de ce médecin est très grave. En distillant ces théories fumeuses, il porte non seulement atteinte aux victimes mais aussi à la sérénité des rares procédures judiciaires liées à des amnésies traumatiques, à l’avancée de la recherche sur les conséquences psychotraumatiques des viols, aux soignants chaque jour confrontés à des victimes de ce mécanisme extrêmement délicats. Des thérapies nécessitant une formation approfondie et un subtile sens de l’équilibre, tant les victimes sont plongées dans un grand état de fragilité pouvant basculer à tout moment.

Nous en appelons donc aux professionnels de santé formés au psychotraumatisme, à l’amnésie traumatique, à la mémoire traumatique à réagir afin de ne pas laisser de tels propos polluer le débat public. Qu’ils rétablissent dès que possible la vérité au nom des nombreuses victimes et de la noble mission du soin. D’avance nous les remercions….

Mié Kohiyama pour le groupe “MoiAussiAmnesie”

 

 

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