Chers amis,
Ce soir nous revenons aux fondamentaux de notre association à savoir donner la parole aux victimes d’amnésie traumatique liée à des violences sexuelles avec le témoignage infiniment émouvant de Francine, 49 ans, victime d’inceste pendant toute son enfance. Pendant de très longues années, elle a oscillé entre déni et amnésie traumatique partielle, qu’elle subit encore aujourd’hui avec son cortège de souffrances. Le récit de Francine, qui n’a quasiment jamais été prise en charge sur le plan thérapeutique, témoigne des ressources phénoménales qu’une victime d’inceste doit déployer pour tenter de vivre ce qu’elle appelle une “vie normale”, son Everest à elle….Nous rendons hommage à son incroyable volonté, courage ainsi qu’à son authenticité. Par ailleurs, dans un clin d’œil à l’actualité, Francine nous a connus en regardant les auditions dans l’affaire #Benalla sur Public Sénat qui ont été suivies par une rediffusion d’une de mes interviews…
Belle soirée à tous,
Mié Kohiyama pour le groupe « MoiAussiAmnesie ».
Je m’appelle Francine. J’ai 49 ans. J’ai grandi au Tréport en Seine Maritime. Je suis la dernière d’une famille de six enfants. Mon père était boulanger. Ma mère l’aidait à vendre le pain.
J’ai été victime d’inceste pendant toute mon enfance. Mes agresseurs étaient mon père et trois de mes frères, eux de façon moins longue et plus épisodique.
Je me suis toujours souvenue de la première fois avec mon père. Je jouais à cache-cache avec lui. Je montais les escaliers je lui faisais “bouh!” pour lui faire peur. Et puis le jeu s’est transformé bizarrement…Quand j’ai vu ma fille jouer à cache-cache, elle n’avait que 3 ans. C’est à cet âge que tout a commencé pour moi. Cela a duré jusqu’à mes 11 ans.
C’est en sixième que j’ai pris conscience de ce qui m’arrivait. Un professeur de sciences naturelles a dit en cours: “les relations sexuelles entre les membres d’une même famille, c’est interdit par la loi”. J’ai eu envie de me cacher sous la table tellement j’avais honte, que je me sentais sale.
A partir de là, j’ai résisté à mon père. Il était alcoolique, sans doute pour noyer sa culpabilité de ce qu’il me faisait subir. Il venait me chercher à trois heures du matin. Je me levais, je me sauvais, je disais non.
Je me suis tue au moment des faits car mon père me disait: “surtout ne dis rien à maman, elle va en mourir”….
Je faisais tout pour rentrer à la maison le plus tard possible. Je traînais. J’allais chez une dame née en 1900, dînais chez elle. Elle m’a appris à lire, à écrire et à me laver les dents. Elle est morte en 1987. J’ai oublié son existence pendant 15 ans….
J’ai vécu mon adolescence dans un mal être terrible. J’avais du mal à masquer mes souffrances, du mal à me concentrer.
A 20 ans, je suis venue vivre à Paris où j’ai fait des études de musicologie à la Sorbonne. Toute ma vie j’ai essayé d’avoir une vie normale. Je me suis mariée à 21 ans. Mes premières relations sexuelles ont été abominables. J’ai eu très mal. J’avais des micro-fissures, m’a dit une gynécologue.
Alors j’ai enfoui toute mon enfance au fond de ma mémoire afin de paraître normale. Mon objectif de normalité c’était comme pour un alpiniste qui se lance dans la conquête d’un très haut sommet. Un Everest.
Parfois les souvenirs remontaient mais je les chassais. C’était une amnésie traumatique partielle qui a duré jusqu’à l’âge de mes 36 ans lorsque j’ai quitté le père de ma fille en 2004.
La première personne à qui j’ai parlé pour la première fois fut ma mère pour lui annoncer mon divorce et lui parler des incestes. Sa première réaction a été de me dire froidement: “tu ne préviens pas la police”…
Cette femme que je protégeais par mon silence connaissait toutes mes souffrances. J’avais 36 ans et le cauchemar est devenu encore plus intense. Les souvenirs aussi sont remontés avec les douleurs et les émotions…
Ma famille m’a menacée. Un de mes frères qui m’avait agressée petite m’a traitée de menteuse. J’ai arrêté de voir ma mère et j’ai signé en 2012 le manifeste de Clémentine Autain des 313 femmes dénonçant les viols qu’elles ont subis.
Je suis devenue professeure de musique en collège pour m’aider à affronter le regard de l’autre. La musique c’est un peu un langage. Je joue du saxophone, l’instrument de mes rêves. Quand je travaille mes morceaux, je ne pense pas donc c’est bien. J’aime le timbre du saxophone à la fois nostalgique et doux. Je joue un répertoire classique. Je ne cherche pas la mélancolie mais l’Aria d’Eugene Bozza c‘est magnifique…
Il faut toujours que je sois en mouvement pour ne pas penser. Si je ne fais rien, je suis mal.
Aujourd’hui, je suis toujours en état d’amnésie traumatique partielle. Dès que j’essaie de parler des faits, j’ai des trous de mémoire. Comme des coupures de courant avec toute ma pensée qui s’arrête. Je ne sais plus où j’en suis. J’ai toujours des scènes en tête mais j’en ai oublié une grande partie.
Quelles sont les conséquences dans ma vie? J’ai énormément de mal avec le contact humain. Un main posée sur l’épaule va être une agression par exemple. Des problèmes de claustrophobie, d’agoraphobie.
Je vis seule également. Ma vie affective, c’est le néant et je pense que cela restera le néant. J’ai beaucoup de mal à rester seule dans une pièce avec un homme. J’ai beaucoup de mal à jouer en public. Je manque de confiance en moi. J’ai démarré la vie avec rien. Mon frère qui était notaire s’est arrangé pour que je n’aie pas ma part d’héritage suite au décès de mes parents. Je suis restée naïve et suis souvent la proie de personnes mal intentionnées.
L’inceste, c’est pas comme des viols commis par des étrangers, ça bouscule tous les repères sociaux, toute la construction intime.
Je reste persuadée qu’un jugement est important et nécessaire pour la reconstruction personnelle sinon cela reste difficile de se positionner en tant que victime. J’aimerais bien que ma famille soit entendue par un juge et qu’il leur dise que ce qu’ils ont fait n’est pas bien. J’aimerais qu’ils soient placés face à leurs responsabilités. J’aurais aimé que la justice de mon pays me protège. J’ai malheureusement un sens aigu voir naïf de la justice.
Pour autant, étant seule, je ne me sens pas d’affronter ma famille. Ils ne leur sera que trop facile de se présenter devant un juge en étant unis et en présentant des mensonges adéquats leur permettant de se disculper. Et comment puis-je de mon côté pour prouver les faits après tant d’années?
La prescription ne facilite pas les démarches car le temps est long. Il faut que la victime soit prête à affronter son traumatisme. Et puis, ensuite il faut qu’elle ait le courage d’affronter ses agresseurs. Il faut introduire l’amnésie traumatique dans la loi.
J’ai essayé de commencer un travail thérapeutique mais c’était trop douloureux. J’ai trouvé mon équilibre avec l’aide de ma fille. Il consiste tout simplement à me submerger de travail pour ne pas penser.
Quand les souvenirs remontent, j’ai peur de me jeter par la fenêtre…En ce moment c’est difficile car mon père s’en prenait à moi quand il y avait la Coupe du Monde…
J’aimerais aussi que les mentalités changent. Ce sont des choses qu’on pourrait éviter. C’est trop facile. Un enfant c’est fragile. Quand c’est dans un cadre familial c’est une autre violence. La famille normalement c’est un lieu de sécurité…
Ce que je souhaite? Plus grand-chose à vrai dire. Ah si, j’aimerais avoir mon agrégation.
Si mon témoignage peut aider j’en serais ravie. Je témoigne pour que cela n’arrive plus à des enfants.
Merci pour ce témoignage.
Nous sommes si isolé-es dans nos trauma.
Je n’ai pu trouver aucun réconfort dans ma famille, auprès d’ami-es, je me sens souvent perdue. A 33 ans, le souvenir d’un attouchement subi par mon grand père sur mon clitoris, j’avais 6 ans, l’est remonté. Ce souvenir que j’avais déjà évoqué avait été nié par ma soeur qui, elle, à 5 ans, a reçu son sexe en mains. Ma cousine a subi plus longuement ces viols, mais refusent d’en parler.
J’ai 45 ans, ma fille en a 18. Combien de larmes et de rencontres pourries. Combien la libido m’a poussée à me salir, à rechercher un plaisir ponctuel qui ne répondait en rien à mes besoins d’amour profond. Combien d’années à le lever angoissée à l’idée d’affronter une journée à faire semblant, à afficher un sourire de façade? Je ne me suis pas encore trouvée professionnellement, ni amoureusement. On le renvoie l’image d’une déséquilibrée. Pourtant, je sais, au fond de moi, que c’est moi l’équilibre, moi qui agit pour aller mieux, pour vivre dans cette ambiance mensongère, nihiliste. C’est moi la belle femme qui a été gâchée.
Danièle.